Note publique d'information : Par nature, le théâtre a partie liée avec le temps. Dans les sept pièces conservées
de Sophocle, χρόνος est au cœur du discours des personnages, comme sujet de leur réflexion
sur l’existence, mais aussi comme agent de la progression du drame. Au premier niveau,
son action est destructrice, car l’homme de Sophocle, « homme d’un jour » (Aj.399
et Ant. 790), éprouve durement sa nature brutale, faite de revirements arbitraires,
auxquels il résiste autant qu’il peut, à moins qu’il ne s’en joue. Mais au second
niveau, celui de la dynamique de l’action, le temps est aussi constructeur de l’effet
tragique. En atteste le lexique, important et varié, capable de rendre visible la
fatalité en marche au sein de la tragédie. Ainsi, le temps, non représentable puisqu’il
échappe à la mimèsis, peut servir de révélateur à la tension latente, qu’on appelle
communément le tragique, concept flou et jamais véritablement défini par les textes,
et qui va trouver ici une consistance poétique et une définition nouvelle dans l’observation
des choix d’écriture du dramaturge. Ce faisant, c’est la démarche créatrice de Sophocle
que l’on interroge. L’analyse du vocabulaire dans des passages choisis dément sa réputation
d’auteur peu spectaculaire : retard, hâte, revirements, hasard, opportunité…sont mis
en valeur au cœur des vers comme des indicateurs majeurs de la marche du drame vers
sa fin. Et si l’on croise ensuite les données lexicales avec les marques de l’énonciation
et les éléments des rites civiques qui affleurent dans les textes, on distingue alors
la concaténation assurant la cohésion des ensembles et forgeant la temporalité propre
à chaque pièce. Du rapport contraint entre le temps dramatique et le temps scénique,
Sophocle a tiré des effets originaux qui forment sa poétique. Comme l’aède-démiurge
d’Homère, le dramaturge construit ses tragédies en charpentier de l’effet tragique.
Il fabrique un présent dramatique parsemé de signes indiciels marquant le passage
de χρόνος. Ce présent, troublé par le passé qui s’y déploie encore, est celui de l’inadaptation
du héros, tout à la fois temps de l’urgence, du retard, de l’immobilité qu’il faut
conjurer pour que la perspective d’un futur puisse prendre forme. La tragédie sophocléenne
s’avère finalement très consciente d’elle-même, développant un langage performatif
qui entraîne à l’action, disant le rapport sensible de l’homme au temps et tout à
la fois sa propre relation au temps qui la compose.MOTS-CLÉS : tragédie-effet tragique-deixis-temps-temporalité
Note publique d'information : By nature, theatre and time are linked. In Sophocles’ seven remaining tragedies, χρόνος
is in the heart of the characters’ speeches, as a subject of their thought about human
life, but first of all, as an agent of the progressing plot. On the first level, his
action is destructive, because Sophocles’ hero, “a man of one day” (Aj. 399 and Ant.790),
is afflicted by the brutal nature of time, made of arbitrary reversals to which he
tries to resist to, as much he can, unless he makes light of them. But, on the second
level, action in progress, time is also constructive of the tragic effect. This is
attested by many and diverse words, showing fate going through the tragedy. So, time,
that is impossible to represent on stage, because it is outside of the mimesis, reveals
the hidden tension, commonly named the tragic, a woolly concept, never really defined
by the texts, which will find here a poetic consistency and a new definition by the
observation of the playwright’s choices. Thus, it is Sophocles’ creative reasoning
that is analysed. According to the vocabulary in some passages selected, his reputation
of not being a very spectacular author is belied: delay, haste, reversals, luck, opportunity…
are highlighted in the texts, as major indicators of the action progressing to its
end. And then, by crossing the lexical data, the enunciation marks and elements of
civic rituals showed on the surface of the texts, we can then clearly distinguish
the logical sequences of events making the tragedies’ coherence and the own temporality
of each work. Sophocles builds his tragedies like a “carpenter” of the tragic effect.
He makes up a dramatic present scattered with a plenty of signs showing χρόνος going
through. At the end, Sophoclean tragedies are conscious of their own structure, because
they develop a performative language to speak about the sensitive relation between
man and time, and also, about their relation with time making of their poetic organization.KEYWORDS:
tragedy-tragic effect-deixis-time-temporality